David contre Goliath : une bataille pour l’équité du journalisme en ligne
Ce mois-ci, dans sa chronique de janvier, le sénateur Loffreda (photo) écrit sur le projet de loi proposé par le gouvernement pour aider les éditeurs de nouvelles et les journalistes à recevoir une rémunération équitable pour leur travail qui est partagé sur les plateformes de géants de la technologie comme Facebook et Google. Le projet de loi C-18 est présentement devant le Sénat.
Je commence la plupart des journées par un bon espresso et mes nouvelles du matin. La consultation de divers médias et la lecture d’articles en ligne font partie de ma routine matinale quotidienne. Comme beaucoup de Canadiens, j’accède à la plupart de mes nouvelles en ligne et, contrairement à ce qui se passait il y a plusieurs années, nous recevons maintenant nos nouvelles en temps réel, au moment où elles se produisent.
L’Internet est certainement devenu l’endroit où les Canadiens consomment la plupart de leurs nouvelles, que ce soit par l’intermédiaire des médias traditionnels ou des sites de géants numériques comme Facebook et Google. En raison de ce déplacement des consommateurs de la presse écrite vers les nouvelles en ligne, certains soutiennent que le bien-être du journalisme est menacé par la propagation répandue de la désinformation et de la mésinformation. En effet, des sondages récents ont montré que près de la moitié des Canadiens remettent en question l’exactitude et la véracité des informations qu’ils reçoivent des organismes de presse. Il s’agit d’une statistique troublante.
Il y a un peu plus d’un an, Statistique Canada a également indiqué que « les revenus d’exploitation des éditeurs de journaux canadiens ont diminué pour atteindre 2,1 milliards de dollars en 2020, soit une baisse de 21,9 % par rapport à 2018. » Cette tendance à la baisse se produit depuis plusieurs années déjà et la pandémie a aggravé la situation. De plus en plus d’organes de presse, y compris des journaux communautaires, ferment leurs portes. Neuf grands quotidiens urbains ont cessé d’imprimer leurs éditions du lundi depuis octobre, en partie à cause de la perte de revenus publicitaires au profit des géants de la tech.
Ce n’est un secret pour personne que les organes de presse ont du mal à suivre l’évolution du secteur et à réorganiser leur modèle économique tout en restant financièrement viables (sans intervention du gouvernement). Comme l’ont rapporté les Nations unies l’été dernier, « le déplacement important des recettes publicitaires vers les médias sociaux et les moteurs de recherche au cours de la dernière décennie et la croissance du pouvoir des sociétés Internet contrôlant la technologie de la publicité ont encore érodé les fondements économiques du pluralisme des médias d’information, facilité la capture des médias, affaibli la diversité du contenu des informations et rendu plus difficile pour les fournisseurs d’informations de résister à d’autres pressions. »
Pour remédier à cette situation, le gouvernement fédéral a déposé le projet de loi C-18, la Loi sur les nouvelles en ligne, qui s’inspire de la législation australienne. Comme le projet de loi C-11, la Loi sur la diffusion continue en ligne, le projet de loi C-18 a suscité beaucoup d’intérêt parmi les parlementaires, les organes de presse, les géants du numérique et d’autres parties prenantes concernées, et les deux projets de loi sont actuellement examinés par le Sénat.
Le projet de loi C-18 vise à établir un nouveau cadre pour assurer l’équité sur le marché canadien des nouvelles numériques et pour les entreprises de presse locales indépendantes, y compris les organismes de presse ruraux et éloignés, en veillant à ce que les médias d’information et les journalistes reçoivent une rémunération équitable pour leur travail. Plus précisément, les intermédiaires de nouvelles numériques tels que les moteurs de recherche ou les services de médias sociaux pourront négocier des accords avec les médias canadiens pour les autoriser à diffuser le contenu des médias canadiens sur leurs plateformes.
En octobre, Abacus Data a réalisé un sondage sur le projet de loi C-18, commandé par Google Canada, et a constaté que « de larges majorités estiment qu’il est important que la législation garantisse que les organes de presse admissibles respectent les normes et l’éthique journalistiques, que les nouvelles locales soient protégées et qu’on leur donne les ressources nécessaires pour continuer à fonctionner, mais ils veulent aussi que les moteurs de recherche comme Google Search continuent à travailler et à fonctionner comme ils le font actuellement. »
Bien sûr, comme tout texte législatif, le projet de loi C-18 suscite des réactions mixtes. D’une part, les éditeurs demandent une adoption rapide car les plateformes en ligne ne les rémunèrent pas suffisamment pour le contenu créé par les journalistes. D’autre part, les géants du numérique s’opposent fermement au projet de loi, car le cadre réglementaire ne tient pas compte de la valeur qu’ils apportent aux éditeurs et aux journalistes.
Quelle que soit votre position sur la question, il ne fait aucun doute que le bouleversement numérique constitue un réel problème pour le journalisme en général et pour les organes de presse traditionnels, en particulier les journaux locaux et ethniques dont les moyens financiers sont limités et les recettes publicitaires en baisse. La Loi sur l’information en ligne est-elle la solution? Elle pourrait très bien l’être. Le Sénat sera saisi de cette question au cours de la prochaine session, et je sais que nous aurons de grands débats tant en chambre qu’en comité.
Une chose est certaine: il faut faire quelque chose pour garantir que nous ayons une presse libre et indépendante qui continue à rechercher la vérité, qui reste précise dans ses reportages et qui respecte les principes de fiabilité et d’objectivité. Nous considérons peut-être que cela va de soi, mais c’est un élément crucial pour le bon fonctionnement d’une démocratie, qui aide ses citoyens à prendre des décisions éclairées sur des questions importantes.
Comme l’ont écrit les Nations unies, « si les médias indépendants d’intérêt public ne peuvent pas survivre – et encore moins prospérer – la désinformation prospérera, les journalistes seront davantage mis en danger et le droit des sociétés à l’information sera sapé. »
L’honorable Tony Loffreda, Sénateur canadien indépendant (Québec)